Comme un sentier est formé par les pas multipliés des passants, ainsi les choses finissent par être qualifiées d’après ce que beaucoup en ont dit. C’est ainsi, dit on, parce que c’est ainsi ; c’est un principe. Ce n’est pas ainsi, dit-on, parce que ce n’est pas ainsi ; c’est un principe.
En est-il vraiment ainsi dans la réalité ? Pas du tout. Envisagées dans la norme, une paille et une poutre, un laideron et une beauté, tous les contraires sont un. La prospérité et la ruine, les états successifs, ne sont que des phases ; tout est un. Mais ceci, les grands esprits seuls sont aptes à le comprendre.
Ne nous occupons pas de distinguer, mais voyons tout dans l’unité de la norme. Ne discutons pas pour l’emporter, mais employons, avec autrui, le procédé de l’éleveur de singes.
Cet homme dit aux singes qu’il élevait : je vous donnerai trois taros le matin, et quatre le soir. Les singes furent tous mécontents. Alors, dit-il, je vous donnerai quatre taros le matin, et trois le soir. Les singes furent tous contents.
Avec l’avantage de les avoir contentés, cet homme ne leur donna en définitive par jour, que les sept taros qu’il leur avait primitivement destinés.